Dylanesque

Don'tLookBack

Mercredi 23 juin 2010 à 16:12

Parenthèse journal intime.

Il y a une frustration que j'évoque depuis un moment, et enfin, j'ai réussi à trouver les bons mots pour l'expliquer. Et j'ai besoin de l'expliquer, surtout s'il y en a parmi vous qui me comprennent ou ressentent la même chose. 

Ma frustration, qui est plus lourde que jamais ces jours-ci, c'est le sentiment de ne pas pouvoir exploiter mon potentiel. J'ai le sentiment d'avoir un potentiel, vous comprenez, d'avoir un rôle à jouer, quelque part, dans un domaine bien particulier. Mais je ne peux pas. Soit parce que certains jours je suis trop feignant et j'ai laissé passer quelques occasions. Soit parce que je suis freiné par un manque de moyen. Oui l'argent, putain, l'argent. 

Le truc, c'est que mon potentiel, qu'il existe ou non, est vraiment très compliqué à cerner. Parce qu'un tas de choses m'intéresse et que je suis bien incapable de choisir et de tout faire correctement. Avant, c'était le théâtre, la scène, faire le con, amuser. Il y a l'écriture aussi, j'aime bien écrire. Maintenant, c'est principalement la musique. Celle que j'écoute, celle que j'aimerais partager, celle qui me titille la plume. Et au dessus de tout ça, il y a un véritable besoin de partir, de voyager, dont je ne me suis pas vraiment remis depuis l'été dernier. S'il existait un diplôme ou un métier qui permette d'écrire sur la musique tout en voyageant, ce serait parfait. Mais là non. Je suis bloqué dans des études de lettres qui ne me passionnent plus, et je suis bloqué avec quasiment plus un rond dans une ville certes sympathique, mais qui ne m'apporte plus grand chose. Reste la musique, mon émission de radio, mes amis et ce blog. Je vais avoir 20 ans dans deux mois, et il va me falloir quelque chose de plus ambitieux. 

J'ai déjà commencé un peu à exploiter mon potentiel, et je peux continuer. Mais là, j'arrive au maximum de ce que je peux faire avec les moyens du bord, et la frustration grandit, grandit, me rend blasé et un peu déprimé parfois. Surtout quand je vois d'autres personnes qui parviennent à s'accomplir. Je suis heureux pour eux, mais au fond, oui, ça me déprime. Si seulement j'étais un peu plus rigoureux. Un peu moins égocentrique. Un peu plus riche. 

Voilà, c'était mon coup de gueule, mon pavé autocentré hebdomadaire. La chronique d'un lunatique. C'est comme ça que je devrais renommer ce blog, tiens. Parce que à part ça, le retour du soleil me ravit. Et j'essaye d'oublier tout ça, de vivre au jour le jour, de penser à mon déménagement, à mes rattrapages, à Dylan que je retrouve sur scène la semaine prochaine. Mais quand je suis tout seul, que j'ai rien à faire, je repense à tout ça, à cette frustration, et ça me tue. Je veux pas passer à côté de mes rêves, je veux faire de ma vie un destin. 

On en est tous là, pas vrai ?

Lundi 21 juin 2010 à 1:47

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 You say you love me
And you're thinkin' of me,
But you know you could be wrong.
You say you told me
That you wanna hold me,
But you know you're not that strong.
I just can't do what I done before,
I just can't beg you any more.
I'm gonna let you pass
And I'll go last.
Then time will tell just who fell
And who's been left behind,
When you go your way and I go mine.

Dimanche 20 juin 2010 à 21:29

Une fin de soirée ensoleillée, la bande originale de "Pat Garret & Billy the Kid" sur la platine, une bière fraîche, voilà ma définition de la quiétude. Pour que ce soit un moment parfait, il faudrait que je sois à l'extérieur, pas dans mon appartement tout vide, tout triste. Il faudrait que je sois au bord de la mer probablement. Mais ça va venir, il faut juste que je sois patient. Pour la première fois depuis trop longtemps, je me suis remis à vivre au jour le jour. Comme si j'étais en vacances. J'en ai complètement oublié mes rattrapages, le monde extérieur, je vis l'instant et ça m'avait drôlement manqué. 

Je pense que je vais me coucher tard, savourer une dernière fois le printemps. Les journées les plus longues sont les meilleures. Je vais écrire, probablement quelque chose sur Dylan, ou bien dans ce vieux carnet quasiment vierge que j'ai retrouvé en faisant mes cartons. Je vais traîner devant l'ordinateur, à la fenêtre, me détendre. Profiter d'un peu de confort et que quiétude. Me coucher tard et m'endormir tout de suite. 

C'était vraiment un article pour rien, mais au cas où quelqu'un se demandait ce que pouvait bien ressentir Dylanesque aujourd'hui, et bien voilà. Je me suis bien, et je vous en souhaite autant. 

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Vendredi 18 juin 2010 à 18:47

Dylanesque a une réputation à tenir, alors Dylanesque a parlé de Dylan. Et maintenant, il est temps qu'il revienne à ses mauvais habitudes, parler de lui et de ses journées les plus belles, comme de ses périodes les plus sombres. 

Dylanesque parle à la troisième personne et il ne sait pas trop pourquoi. C'est sûrement la grandiloquence de Jim Morrison qui l'a contaminé. Oui, je sors à l'instant d'une projection de "When You're Strange", le documentaire sur les Doors. C'était impeccablement bien foutu, et j'ai vibré plusieurs fois sur mon siège. Concis, hypnotisant, je vous le conseille. Surtout que c'est l'occasion de voir et d'entendre les Doors sur grand écran, là où toutes leurs boursouflures sont vraiment à leur place. Les Doors, il faut les écouter à fond de toute façon, alors le cinéma, c'est l'idéal. 

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Dans la salle, j'ai remarqué une jolie jeune fille, avec de grands yeux ébahis. Elle avait du charme, et en sortant du film, j'ai voulu l'attendre pour lui demander du feu (je lui aurai sorti une blague du genre "Come on baby, light my fire") mais elle avait disparu. Comme ce que je venais de voir m'avait vachement donné envie d'écouter de la musique, et que bon je suis pas payé à être pion pour rien, j'ai décidé d'aller claquer un peu de thune au disquaire du coin. J'ai rien acheté des Doors, j'ai déjà tout ce qu'il me faut. De toute manière, je n'écoute que "L.A. Woman". Par contre, je suis tombé sur "Pink Moon" de Nick Drake, qu'il fallait que je rachète car le mien est porté disparu, et puis aussi "Love & Theft" de Dylan, l'une des rares pièces manquantes à ma collection. Et là, je tombe sur la jeune fille du cinéma, qui a l'air un peu perdu. Je tente une approche, parce que je me doute bien qu'elle cherche le rayon des Doors. Elle me regarde à peine et me dit que oui, alors je lui montre la voie, lui conseille "L.A. Woman". Elle ne m'écoute pas, me remercie à peine et déguerpit avec un pathétique best of. Garce. 

Je suis revenu chez moi, avec ce mal de crâne qui surgit à chaque fois que je sors du cinéma, et "Cars Hiss By My Window" en boucle sur le Mp3. J'ai croisé le regard de personne, j'ai foncé, pour aller m'écoute mes disques tranquillement dans mon appartement, enseveli sous les cartons. Voir Jim Morrison s'agiter sur scène m'a vraiment donné envie de foutre le bordel. Lundi, on a un concert de programmé avec mon groupe, on joue sur une scène pour la fête de la Musique. Je vais m'en donner à coeur joie. Mais là, il faut attendre, dans les cartons, et putain, c'est frustrant. 

Dylanesque a vidé son sac, Dylanesque vous souhaite une bonne soirée. 

Jeudi 17 juin 2010 à 23:44

J'ai déjà beaucoup parlé de mon amour pour la période gitan de Dylan, entamée en 1975 avec l'album "Desire" et la Rolling Thunder Review. J'ai beau savoir que derrière tout ce cirque grandiloquent, il y avait des histoires de gros sous, je suis captivé par cette folle aventure. Inégale, la tournée a tout de même offert de grands moments, que l'on peut retrouver sur le Bootleg N°5 ou bien sur ce "Hard Rain", publié en 1976, après la dissolution de l'équipe. Beaucoup ont reproché à ce témoignage d'avoir saisi la pire partie de la tournée, celle où la magie avait disparu, où l'envie n'était plus là et que l'aspect communautaire et à l'ancienne avait laissé la place à de lucratives démonstrations de forces dans des stades, sans vraiment d'âme. Et bah moi je ne suis pas d'accord. Je trouve justement que c'est magique, que c'est plein d'âme et je me fous, comme d'habitude, de savoir si Dylan est sincère ou pas, si les émotions sont authentiques, si le contexte change la donne, je m'en fous, je me concentre sur ce que cet album me procure, c'est à dire une véritable claque. 

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Le titre piquée à un moment de bravoure remontant à son deuxième album n'est pas anodin. Il fait référence à toutes les emmerdes qui se sont enchaînés pour mettre en place cet enregistrement. D'abord une émission de télé manquée, puis un Dylan lunatique qui picole en montagne et enfin, un concert dans un stade du Colorado où une tempête finit de compléter ce gigantesque merdier. Et pour bien nous faire comprendre que c'était pas la joie, il y a cette pochette, avec un Dylan en gros plan qui nous lance un regard noir, méfiant. Après avoir joué les campagnards, les cow-boys et les romantiques, revoilà que le Zim est reparti dans ses excès et nous rejoue les frustrations de la tournée électrique, dix ans plus tôt, lorsqu'il se fait siffler tous les soirs. L'alcool a remplacé la drogue, le génial poète a perdu un peu de sa verve créatrice, mais on peut facilement faire le parallèle.  

On le sait, Dylan n’aime pas faire sonner une chanson de la même manière et pour le meilleur comme pour le pire, il s’amuse à changer la forme, influençant parfois le fond, de tout son répertoire, selon l’humeur, le contexte, la motivation. La plupart de mes titres favoris sont représentés ici, dans des versions très éloignés des originaux. Dans un style country-rock décoiffant, « Maggie’s Farm » défile à toute allure, Dylan ne chante pas, il meugle, il saute des couplets, il fonce. Bon, rien d’anormal non plus, cette chanson là a déjà été utilisée comme une entrée fracassante par le passé, rappelez-vous, Newport, en 1965. Si Pete Seeger était dans le coin, il aurait encore voulu couper les fils à la hache. Surtout que personne ne s’attendait à voir la ballade acoustique « Too Many Mornings » transformé en grandiloquente démonstration de guitares qui s’affolent et de violons qui tourbillonnent, dans un son typique de la Rolling Thunder Review. Un son qui sied très bien à « Stuck Inside of Mobile », une chanson qui m’a toujours évoqué un voyage en train à toute allure, et qui passe ici la vitesse supérieure. Dylan est peut-être bourré, peut-être qu’il avance les yeux fermés, mais quand il gueule les refrains, c’est très puissant. Je trouve. 

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Le violon de Scarlet Rivera était l’un des atouts majeurs de « Desire », de son ambiance si particulière. Il fait encore une fois des merveilles sur ce poignant « Oh, Sister », qui parvient à m’émouvoir, à tous les coups. Surtout quand le rythme s’accélère, que la voix monte en puissance, que la foule retient son souffle, et que Dylan balance le refrain avec un vrai sens de la mélancolie. C’est un truc qu’il ne faisait déjà plus à l’époque, mais on l’imagine avec sa peinture blanche sur la gueule, sa tenue de guerrier gitan et ses poings qui s’agitent autour du micro. De quoi avoir des frissons. 

Celle qui décoiffe le plus, c’est surement « Lay Lady Lay », à mille lieux de la sucrerie country, à des kilomètres de la sensualité de l’originale, presque un contresens. C’est selon moi le morceau le moins convaincant de ce live, car il faut avouer que ses chœurs, si on ne joue pas le jeu, sont un peu écœurants à la longue. Mais sans transition, direct après, c’est mon passage de prédilection, « Shelter From the Storm ». Poignante ballade de « Blood on the Tracks », elle est ici tout sauf un abri en cas de tempête. C’est une tempête à elle toute seule cette version, quasiment reggae, avec la basse de Rob Stoner qui tremble dangereusement, Dylan qui gueule comme l’orage qui gronde. Un moment de bravoure, hypnotisant. 

« You’re a Big Girl Now » est un océan de douceur dans ce combat acharné. Je parle de la manière dont elle est joué, plus calme, avec des violons qui se font plus apaisés. Parce qu’au niveau du texte, c’est toujours la même amertume, les mêmes regrets. Avec un texte beaucoup moins subtile, un peu plus niais, mais tout aussi délicieux, « I Threw It All Away » joue sur l’effet inverse, et Dylan se remet à en faire des caisses, de manière un peu chancelante, mais avec beaucoup d’émotions. C’est une chanson plutôt classique, mais je l’ai toujours adoré, particulièrement dans cette version dopée. 

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Que cette tempête vous soit passée au dessus de la tête ou qu’elle vous ait complètement abattue, le vent qui vient souffler sur le champ de bataille mettra tout le monde d’accord. S’il ne vous faut qu’une raison d’acheter cet album, c’est le « Idiot Wind » qui vient conclure la parade. S’étendant sur plus de dix minutes, c’est une dernière charge contre l’ennemi, desespéré mais où Dylan va puiser ses dernières forces, y va à fond, comme pour nous achever. L’orchestre se démène derrière pour tenir la route tout le long à ce morceau qui, même si Dylan s’est amusé à le nier, semble tout de même une charge envers son ex-femme, Sara, l’amour de sa vie, la fille aux yeux tristes. On l’entendrais presque pleurer Dylan d’ailleurs. Pleurer comme un ivrogne qui titube à la sortie du bar et vomit son malheur dans de sombres ruelles. 

« Hard Rain », une expérience punk, j’en sais rien. En tout cas, Dylan se montre une fois de plus très destructeur, et toujours aussi passionnant. Un live à ressortir lorsqu’il pleut dehors, forcément. Il suffit d’ouvrir grandes les fenêtres, de mettre le son à fond, de se servir quelques verres et de laisser la tempête vous foutre en transe. 

 

Mercredi 16 juin 2010 à 1:57

Le Dylan électrique, c’est comme l’Occupation française, on ne peut pas savoir de quel côté on aurait été, celui des défenseurs ou des opposants du génial poète. Ce que l’on peut savoir néanmoins, avec le recul, c’est que ce concert au Royal Albert Hall, est le témoignage live le plus puissant jamais publié.

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En l’écoutant, dans le noir, les yeux fermés, c’est toutes ces images de « No Direction Home » qui reviennent en tête. D’abord, un Dylan pâle, amaigri, usé par une tournée anglaise aussi épuisante physiquement que mentalement. Les drogues qui circulent, les nuits sans sommeils, les hôtels où trainent les parasites. Un type tout faible qui affronte une horde cruel, et commence tranquillement, avec une partie acoustique terrifiante. Parce que c’est un fantôme, Dylan, il n’est pas là, il hante la salle, avec de longues improvisations dans son harmonica, et une voix trainante, qui n’y croit plus du tout. Pourtant, c’est beau. De longs poèmes vomis comme s’il voulait s’en débarrasser. « Visions of Johanna » n’a jamais aussi bien sonné, résonnant dans le vide, « the country music station play soft » et Louise tient des poignées de pluie, personne ne peut la défier. C’est à vous glacer le sang. Dylan ne peut pas lutter, jamais il n’a semblé aussi divin, comme s’il détenait une vérité absolue et qu’il était seul face à l’univers. Alors il continue, inlassablement, on a l’impression qu’il pleure parfois, il me fait pleurer. L’harmonica sur « M.Tambourine Man » me fait pleurer. C’est la mort d’un homme, la fin d’une époque, un tas de sentiments qui s’envolent à chaque fois qu’il souffle dans ce maudit harmonica, comme si son âme lui échappait. Je crois bien que le moment le plus émouvant de toute la discographie de Dylan, c’est cet harmonica, à ce moment précis.

Dylan est mort, et il ressuscite devant les yeux d’un public qui ne peut pas l’accepter, qui ne comprend pas. Comment leur en vouloir, on était pas là, à leur place, on ne peut pas juger, on a trop de recul pour ça. Et avec le recul, on peut dire que c’est puissant, très puissant. On tremble dès que les premiers coups de tonnerres retentissent, dès que l’électricité est enfin dans l’air. Dylan fait jouer ses copains avec lui, il peut enfin s’amuser, laisser toute la rage qu’il a contenu dans son harmonica pendant le set acoustique nous exploser à la gueule. Je frémis dès que j’entends le groupe s’accorder, ces premières notes d’orgue et ces bruits de pas. Et d’un coup, c’est parti et on n’arrête plus les Hawks. « Tell Me Momma », et Dylan sort du coma. Il est libre et va droit devant. Il gueule dans son micro, agitant les bras dans tout les sens, dans une posture qui lui donne un air plus christique que jamais, avec ce rayon de lumière qui l’entoure. Le public est sur le cul, et Dylan s’en fout, il plaisante, se fout de la gueule du monde. Il est déjà en transe et hors du monde lorsqu’il attaque « Just Like Tom Thumb’s Blues », et se ballade Rue Morgue sous acide. Impossible d’arrêter la machine, on est hypnotisé par cette voix qui vomit du désespoir et de la haine au fur et à mesure que le public devient hostile, que même le plaisir échappe à un gamin qui, à l’origine, est un artiste de music-hall, pas un putain de chanteur folk, il veut la piétiner cette enveloppe. Alors qu’il se transforme, personne ne le regarde ou l’écoute, il se fait juste siffler. « Ballad of a Thin Man » et son orgue virevoltant, on dirait qu’elle est joué dans une véritable église cette chanson, c’est un sermon acerbe jeté en pâture aux moutons, et Dylan se marre, mais au fond, il souffre, ça ne l’amuse plus tant que ça de faire le pitre.  

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Et « Judas » finit par tomber, aussi rigolard que cruel. Il est fier de lui, le malin. Et Dylan de répondre que c’est un menteur, et que pour calmer les menteurs, pour prouver que lui il a raison, il ordonne à ses camarades de jouer putain de fort. D’envoyer la sauce et au fond, on entend ce son de caisse tellement familier. Vlan, c’est parti, la plus géniale, la plus folle, la plus puissante des versions de « Like A Rolling Stone » débute. Il faut avoir les images en tête, visualiser Dylan, seul contre tous, dans une dernière joute avec son public, s’égosiller, laisser le refrain monter au ciel, « How Does It Feeeeeel », et l’harmonica dont ressort une fureur, terrible. Allez, rien à foutre, prenez ça dans vos gueules, moi je me casse. Rideau. Hymne nationale. Bruits de pas. Portes qui claquent. Et quelques mois plus tard, pneus qui glissent et la folle tournée est stoppée net.

Parfois oui, j’aime éteindre la lumière, allumer des bougies, et écouter ce disque au casque. Revivre ce moment que j’ai l’impression d’avoir vécu mille fois. Avoir la chair de poule. Avoir moi aussi envie de gueuler, de tout foutre en l’air. C’est le concert le plus fou et le plus puissant et le plus beau qui existe, que je connaisse en tout cas, une véritable expérience religieuse, pleine de symboles, avec un martyr et à la fin, on ne sait plus qui trahit qui. On sait juste que ce cri de désespoir, il fait autant de mal que de bien, avec du recul ou pas, c’est une aventure à chaque écoute, un film, quelque chose de mythique. C’est Bob Dylan, à son apogée.   

Dimanche 13 juin 2010 à 21:40

Il me semble quasiment impossible de pondre une chronique assez complète pour retranscrire tout ce que peut évoquer cet album, toute sa qualité. D’autres l’ont fait, moi je suis pas assez doué pour y arriver. Mais je peux en parler un peu.

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Le contexte, tout le monde le connait. Le renouveau du folk, la crise des missiles, les droits civiques, tout ça. Un premier album passé quasiment inaperçu, mais qui permet quand même au gamin du Minessota d’être autre chose qu’une aiguille dans une botte de foin au milieu de tous les folkeux du Greenwich Village. Sauf que c’est bien gentil de reprendre des classiques en tentant d’imiter les vieux bluesmans, mais maintenant, il faut écrire des chansons. Il faut pas lui en dire plus à Dylan, le voilà qu’il nous pond un chef d’œuvre. Le premier d’une longue série.

Blowin’ in The Wind. Le premier classique de Dylan. Des bouquins entiers ont été écrit sur ce morceau. Qui est au choix un chant de liberté universel, une grande chanson protestataire, ou bien un poème intemporel. Je me souviens qu’en l’écoutant pour la première fois, j’avais tout compris aux paroles, ça m’était jamais arrivé avant de traduire mentalement, de me laisser porter par un texte en le comprenant du début à la fin. Ce qui m’avait le plus marqué c’est la voix, comme si c’était un vieux sage qui chantait alors que j’ai découvert bien après qu’il s’agissait d’un gamin qui à défaut d’être vraiment sincère, savait manier les mots et les accords de guitare qui restent en tête. C’est le premier morceau que j’ai appris à l’harmonica. C’est simple, c’est évocateur et c’est un morceau qui traversera le temps pendant encore longtemps, c’est certain.

Girl From the North Country. Une complainte qui fonctionne à tous les coups, dont je ne pourrais jamais me lasser. En l’écoutant, je m’imagine toujours la même fille, avec ses cheveux longs et son grand manteau, un fantôme dont je serais toujours amoureux. L’harmonica se fraye un chemin au milieu du morceau et souffle tranquillement, comme un vent de mélancolie. C’est beau à pleurer.

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Masters of War. Celui-là, il aurait pu figurer sur l’album suivant, tant il tranche, il est froid et rageur. On ne saura jamais si Dylan croyait vraiment en ce qu’il chantait, il a déclaré une fois que ce n’était pas un chant pacifiste, qu’il était même pacifiste, qu’il s’en foutait. La chanson nous présente un Dylan qui montre du doigt, plein de venin “And I hope that you die / And your death'll come soon / I will follow your casket / In the pale afternoon / And I'll watch while you're lowered / Down to your deathbed / And I'll stand o'er your grave / 'Til I'm sure that you're dead

Down the Highway. Probablement le morceau le plus faible de l’ensemble, ce blues est un reste de l’album précédent, un peu trop léger pour convaincre. Mais pour un adolescent qui venait d’être percuté par les textes de Kerouac, le thème du type qui se barre avec ses valises et part marcher au bord de l’autoroute m’avait bien plu.

Bob Dylan’s Blues. J’adore cette voix qui nous annonce que c’est une chanson écrite quelque part aux Etats-Unis, cette voix faussement fragile, pleine de malice. Une farce à la Dylan, pleine de références, de jeux de mots, de candeur et de burlesque. Le gringalet se prend pour un dur à cuire et c’est tordant.

A Hard Rain’s A-Gonna Fall. Là, on touché au sublime. Un torrent de mots, d’images, d’émotions caché sous une fausse protest-song. Plus rien n’arrête le poète, Rimbaud avec une guitare et un harmonica, et une diction bien à lui, que je me suis amusé tant de fois à imiter, quand j’écoute la chanson au casque, bougeant les lèvres en silence, tentant de suivre le rythme. Derrière ce récit apocalyptique, c’est un torrent d’humanité qui sommeille, du clown qui pleure dans la rue à la petite fille qui offre des arcs-en-ciel.

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Don’t Think Twice, It’s Alright. Accessible parce qu’elle touche juste dès la première écoute, magnifique tant elle est un mélange d’amertume et d’amour, c’est souvent le morceau que je choisi pour faire découvrir Dylan à un « débutant ». Suze Rotolo devait être quelqu’un de bien pour mériter une telle chanson de rupture, la plus belle qui soit. J’adore quand il dit qu’elle voulait son cœur et qu’elle lui a volé son âme, la manière dont il détache les syllabes, dont les accords de guitare s’enchaînent, c’est déchirant. Il faut l’écouter en roulant, avec un coucher de soleil, il faut l’écouter religieusement lorsqu’on se sent mélancolique, c’est bouleversant.

Bob Dylan’s Dream. En pompant une ritournelle vieille comme le monde, Dylan transforme cette chanson en complainte très personnelle, auquel il est facile de s’identifier. Alors forcément c’est émouvant, surtout quand des amis te manquent, qu’il y a des moments dans ta vie que tu aimerais revivre. « How many a year has passed and gone, / And many a gamble has been lost and won, / And many a road taken by many a friend, / And each one I've never seen again.”

Oxford Town. Le rythme est merveilleux, « un air de banjo joué à la guitare » comme le dit Dylan dans les notes de l’album. Une nouvelle variation autour de la protest-song, plus décontracté dans la forme, tout aussi puissante dans le fond.

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Talkin’ World War III Blues. Dans cette satire burlesque, on retrouve les deux influences, les deux faces du Dylan de l’époque, Woody Guthrie et Chaplin. C’est spirituel, drôle et acerbe. Surtout la citation de Lincoln et celle qui s’attribue. « Je vous laisserais être dans mes rêves si je peux être dans les votres ». Il me tue à chaque fois qu’il dit ça !

Corrina, Corrina. Cette ballade traditionnelle, elle me parle du temps. Cette mélodie qui se déroule avec quiétude, c’est le temps qui nous échappe, la fille qui ne reviendra pas. Derrière le texte simpliste, c’est pour moi aussi évocateur qu’un « Don’t Think Twice », aussi émouvant. Souvent, je repense à Charlotte Gainsbourg en train de peindre dans le biopic « I’m Not There », alors que le monde est en train de s’écrouler. « Corrina, Corrina », je l’écoute quand mon monde s’écroule et que j’ai besoin de m’enfermer dans mes souvenirs, hors du temps.

Honey, Just Allow Me One More Chance. Là aussi, une blague qui fait un peu tâche dans l’ensemble et qui aurait plus eu sa place sur l’album précédent. C’est sautillant, amusant, et j’adore la manière dont Dylan crache dans son harmonica et parle à toute vitesse. Mais c’est trop peu comparé au reste. Je le vois comme une récréation tout au plus.

I Shall Be Free. Un dernier règlement de comptes pour la route, qui baigne dans le surréalisme, l’absurde et multiplie les références comme si de rien n’y était, avec détachement et malice.

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Et puis cet album, c’est aussi une pochette, elle aussi très évocatrice, peut-être la plus belle des couvertures d’albums, ma préféré en tout cas. Elle trône fièrement au dessus de ma platine, et elle renvoie à l’hiver, aux premiers amours, à une époque, à New York. Comme les chansons, elle sera mainte fois cité, interprêté, reprise. On ne compte plus les versions de « Blowin’in the Wind », les dissertations sur « Hard Rain ». Pourtant, quarante ans après, le charme est intact.

Dense, novateur et émouvant, « The Freewheelin Bob Dylan » est le deuxième album du Zim qui m’a foudroyé. Le premier, c’était « Highway 61 », l’été précédent, en Bretagne, la révélation, et tout. Là, c’était à la rentrée, je débarquais en première littéraire et ça m’a retourné forcément. Je l’ai écouté en boucle tout l’automne, dans mon fidèle baladeur, le matin en prenant le bus, le soir en rentrant, sous la pluie, en fumant mes premières cigarettes. Je l’écoute toujours religieusement, et c’est pour moi, le plus bel album folk jamais enregistré.  

  

 

Samedi 12 juin 2010 à 22:01

Les temps qui changent, parlons en justement. 
Pas l'album de Dylan hein, non celui-là je le garde pour une autre chronique. Je veux juste vous parler encore un peu de moi dans un élan d'égocentrisme qui depuis déjà un moment, n'est plus un gros mot sur son blog, n'en déplaise à certains. 

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Les temps changent et je me sens tout triste. C'est pas que je déprime mais presque. Le truc, c'est que je me sens complètement impuissant face à ça, c'est pas comme si je pouvais y faire quelque chose. Mes amis vont partir, je ne vais plus les revoir avant longtemps. L'été va passer trop vite et du jour au lendemain j'aurais vingt ans. Et puis dans quelques semaines, lorsque j'aurais les résultats de mes rattrapages, je risque d'être le cul entre deux chaises. Soit je passe en troisième année et je sais même pas si ça m'enchante de rester dans le coin, seul, à se forcer, à combattre la routine, à commencer des choses que je ne finis jamais. Soit je n'ai pas ma deuxième année et j'arrête mes études, je trouve un boulot, j'attends d'avoir assez d'argent pour m'en aller. Aux Etats-Unis, probablement. Je sais même plus. Je me sens bien incapable de prendre la moindre décision. 

Alors en attendant, vous l'avez vu, je suis retombé dans les chansons de Dylan. Des chroniques suivront, probablement. Me faîtes pas confiance, je suis d'une inconsistance en ce moment... 

Les temps changent et moi, je reste là comme un con, et putain oui, ça me rend tout triste. 

Samedi 12 juin 2010 à 19:43

On a tendance à l'oublier parce qu'il est coincé entre deux albums encore plus mythiques, mais "Another Side of Bob Dylan", c'est un petit chef d'oeuvre dans son genre. Moi-même, je l'ai pas mal négligé. Au début, je le trouvais trop bavard et comme je l'avais acheté dans une période un peu sombre, certaines chansons, trop longues, me filaient encore plus l'envie de déprimer. Pourtant, avec du recul, et des écoutes répétés récemment, je me suis replongé avec délice dans un album beaucoup plus lumineux et attachant que je croyais. C'est ça avec Dylan, il nous surprendra toujours, et il faut savoir persévérer. Quatre ans pour découvrir vraiment toute la puissance de ces chansons, quatre ans, vous vous rendez compte ?

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Ca commence avec une franche rigolade, une farce où Dylan se marre comme un gamin qui cracherait pas sur la marijuana. "All I Really Want to Do Ouuuuuuuuuuuuuu". J'adore ces "Ouuuuuuuuuuuuu". C'est rare de voir Dylan faire de con, et de l'entendre surtout. Après le sérieux des temps qui changent, c'est une bouffée d'air frais. Certains ont pas trop aimé ce revirement vers une poésie plus personnelle, plus libre, qui se prend plus autant au sérieux (même si le gamin du Minessota, on sait jamais vraiment quand il est sincère ou pas). Le blues décontracté de "Black Crow" par exemple, ou bien le récit désopilant de "Motorpsycho Nitemare", ça n'a pas la carrure de ses plus belles protest-song ou de ses ballades les plus émouvantes, mais ce sont des morceaux qui lui permettent d'explorer de nouveaux registres. De se libérer de ses chaînes. 

"Chimes of Freedom", une protest-song qui emmerde les protest-songs. On peut l'interprêter comme on veut, comme un chant de liberté, comme une ballade déchirante, comme un moyen de dire "là voilà votre chanson d'une génération, je peux faire ce dont j'ai envie maintenant ?". Il en reste un titre qui me touche à chaque fois, surtout quand le gamin gueule le refrain, il le fera en concert souvent. 

On l'avait vu avec "The Freewheelin", Dylan est doué pour émouvoir. C'est jamais une émotion pure et dure, c'est souvent à prendre sous plein d'angles différents, c'est parfois un exercice de style plus qu'une simple chanson d'amour ou de rupture. Mais moi c'est ce que je préfère, le Dylan romantique, bien plus que le protest-singer. C'est pour ça que j'aime beaucoup plus cet album que son prédécesseur, puissant mais plus froid. Ici, Dylan semble se mettre à nu, et touche la corde sensible. On y trouve "It Ain't Me Babe", un classique immédiat, "Spanish Harlem Accident", une ritournelle chaleureuse, "To Ramona" et puis aussi "Ballad in Plain B". Qui sont parmis ses plus beaux morceaux, beaux dans le sens émouvant.

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C'est pas pour autant que la malice a disparu, elle est plus présente que jamais, suffit d'écouter "I Don't Believe You" ou "I Shall Be Free N°10" pour s'en convaincre. Celui là je l'adore, parce qu'on a vraiment un gamin génial qui se fout de notre gueule, s'amuse avec les mots, et se montre sous un visage bien plus sincère que celui qu'il arborait sur la pochette de "Times They Are A-Changin". Celui de l'opportuniste plein de charme, chaplinesque, roublard et plein d'esprit. C'est un poéte, et il le sait, il espère juste qu'il va pas tout gâcher. 

Je termine avec "My Back Pages", où la poésie n'est plus juste un exercice de style, mais le meilleur moyen pour se lamenter, et rendre compte de ses émotions les plus authentiques. C'est ça cet album injustement sous-estimé, trop souvent mis de côté, que j'ai eu le plaisir de revisiter, c'est un gamin avec un destin qui le dépasse, avec la gloire qui l'attend, qui décide de n'en faire qu'à sa tête et de jouer avec les mots, avec les émotions. C'est un gamin inspiré comme tant d'autres par Rimbaud, envouté par le surréalisme, et qui assume ce qu'il est, un poète, un vrai. Pas besoin de jouer les défendeurs de grandes causes pour ça, il suffit de regarder en soi, autour de soi, et de laisser son esprit vagabonder.  

Samedi 5 juin 2010 à 9:51

Si la menace de louper mes études et de me retrouver dépourvu à la rentrée prochaine ne planait pas au dessus de ma tête, et bien je me sentirais vachement bien. Parce que à part ça, oui, je vais bien. Soudainement. Après des semaines à broyer du gris. Le soleil joue son rôle dans l'équation, et puis je sais pas, ce matin je marchais, en revenant de mon épreuve de rattrapage, c'était sur le film criminel, je m'en suis plutôt bien sorti, et en marchant, je me sentais bien dans ma peau, j'étais droit, fier, j'avais envie de sourire aux gens, de leur rendre des services. Je me sentais un peu couillon mais apaisé, vraiment. Et là je repars à la mer donc, et ça va me faire du bien cette petite pause. 

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Il y a des cartons dans mon appart et ça me rend un peu triste, mais bon. C'est bien le changement aussi, c'est excitant. Une colocation bientôt et je dirais adieu à ce bon vieil appartement, avec tout ses souvenirs gravés entre ces quatre murs, ces soirées arrosés, ces rencontres, ces journées de merde, ces nuits mouvementés. Avec le recul, c'était pas si mal mes deux premières années d'étudiants. 

Donc oui, je suis prêt à affronter le changement, j'espère juste que tout le bordel avec mes études, ça va pas trop me freiner dans mon enthousiasme retrouvé. Et comme promis, une playlist. Une playlist pour le mois de juin, pour le soleil, pour une nouvelle vie, de nouvelles routes et de nouvelles couleurs. 

D'ailleurs moi, quand je suis content, je vous colle plein de photos ensoleillés, bucolique et cucul-la-fraise. J'adore ça !

1) In the Sun (She & Him)
2) Now I Lay Me Down (Have Gun, Will Travel)
3) Someday Somewhere (Jeremy Jay)
4) Cloudy Shoes (Damien Jurado)
5) The Calculation (Regina Spektor)
6) Sunshine City (Forest Fire)
7) You Or Your Memory (The Mountain Goats) 
8) A Walk on the Beach (The Strange Boys)
9) I'm Into Something Good (Herman's Hermits)
10) Troubles Will Be Gone (The Tallest Man on Heart)
11) Home (Edward Sharpe & The Magnetic Zeroes)
12) It's A Beautiful Day, Today (Moby Grape)

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